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Télévision : le vertige de « Barbara »

Cette œuvre en clair-obscur de Mathieu Amalric, récompensée à Cannes en 2017 du prix pour la poésie du cinéma, puis du prix ­Louis-Delluc et du prix Jean-Vigo, est un exercice singulier, inclassable, déroutant, qui cherche son chemin. Il tient de plusieurs genres, poème, essai, improvisation. Mathieu Amalric s’est jeté à l’eau, celle du Styx, pour rejoindre ­Barbara. Il a conçu son film comme une singulière déclaration d’amour, libre de forme et d’inspiration, dont on ne sait à qui elle est destinée. À Barbara ou à Jeanne Balibar, son interprète, qui fut sa compagne pendant quelques années ?

Mathieu Amalric joue aussi Yves Zand, réalisateur transi et fasciné, fan déboussolé, metteur en scène enamouré qui n’ose avouer sa flamme à cette actrice, Brigitte. Jeanne Balibar surgit et s’impose, silhouette, profil, voix, gestes et regards, comme le calque de son modèle. Sous ses traits, Barbara revit. Impressionnante de mimétisme et d’invention, Jeanne ­Balibar, dont la ressemblance avec la chanteuse, plus que troublante, entretient la confusion, compose une Brigitte-Barbara originale et excentrique, forte et fragile, émouvante et attachante. On ne sait plus qui est sur l’écran. Jeanne Balibar ou Barbara ? Et l’utilisation subtile d’images d’archives, autre mise en abyme, renforce l’impression de vertige.

Il fallait du cran à Jeanne ­Balibar (César de la meilleure actrice) pour chanter « à la manière de Barbara » sans sombrer dans le ridicule. Jouer ses foucades, ses sautes d’humeur, ses caprices de diva, ses enthousiasmes, ses heures de solitude. Mimer son modèle pour se hisser à sa hauteur, pour être digne de la « représenter », sans gommer sa « dinguerie ». Pour se fondre dans ses dernières années, évoquées par un châle abandonné sur le bras d’un fauteuil, ses activités de jardinage, ses coups de fil nocturnes à des inconnus…

« Vous faites un film sur Barbara ou sur vous ? », demande Brigitte à Yves Zand. « C’est pareil ! », répond Mathieu Amalric. Et si le secret de ce film tenait dans cet aveu enfin formulé ?

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