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« Ma grand-mère aurait aimé avoir le choix de partir sans souffrance »

Le jardin de ma grand-mère.
DR Le jardin de ma grand-mère.

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Le jardin de ma grand-mère.

TÉMOIGNAGE – La plus grande hantise de ma grand-mère, c’était de se retrouver à l’hôpital, dans l’incapacité de s’exprimer, branchée à des machines qui l’auraient gardée en vie malgré sa volonté. Elle m’avait même fait promettre, si cela arrivait, d’abréger ses souffrances à l’aide d’un oreiller sur son visage. J’avais fini par dire oui, tout en m’estimant incapable de lui obéir. Heureusement, je n’ai pas eu à faire ce choix. Elle est partie à 93 ans, chez elle, comme elle le souhaitait. Ou presque.

Alors que les débats sur la fin de vie, dans le cadre des travaux de la Convention citoyenne, sont omniprésents, je repense souvent au 6 décembre 2017, le jour où ma grand-mère a pris la décision de partir. Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’elle aurait pensé de ces débats et si, avec une législation différente, elle aurait choisi de s’en aller autrement.

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« Mais pourquoi tu pleures ? Mourir, ce n’est pas triste ! »

Pour elle, la fin de vie et la mort – les siennes – étaient l’inverse de taboues. Par email, au téléphone, en face-à-face, ce sujet avait fini par devenir sa principale préoccupation, à mesure que ce qu’elle appelait l’ultime « lâcher-prise » approchait. Fervente militante de « l’aide active à mourir », elle exprimait souvent le désir qu’on l’emmène en Suisse ou en Belgique pour partir « dignement ». Pour mon père, son fils unique, c’était tout simplement inaudible. Pour nous, ses petits-enfants adolescents puis jeunes adultes, compliqué d’envisager d’être acteurs de cette « aide » à mourir.

Les années avançant, la vieillesse lui pesait. Seule chez elle, elle était pourtant loin d’être coupée du monde. J’ai encore dans mon téléphone des dizaines de messages vocaux ou d’emails, dans lesquels elle me surprend par sa curiosité constante. Elle voulait savoir si j’avais vu ce documentaire sur le Liban, ce que je pensais d’Aymeric Caron et de l’antispécisme, ou bien si j’avais déjà pensé à me faire percer le nombril… Elle s’intéressait à tout. Mais ce qui la passionnait, c’était surtout ce qui se passe après la mort.

Pour moi, ce sujet était parfois un peu pénible. Mais pour elle, le fait que cela puisse engendrer des émotions négatives était absurde : elle appréhendait la mort comme un passage vers autre chose. Parfois, elle me lançait un : « Mais pourquoi tu pleures ? Ce n’est pas triste ! ». Elle était fascinée par les expériences de mort imminente. Sa croyance sans faille dans un au-delà peuplé de ceux qui lui manquaient sur Terre lui rendait la perspective de la mort, qu’elle appelait même certains jours de ses vœux, plus douce.

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À 93 ans, quitter sa maison était pour elle inenvisageable

Elle m’avait par exemple appris à lire les « signes », elle qui conversait avec les oiseaux, « messagers du ciel ». Devant mes difficultés à croire et à voir quoi que ce soit, elle me disait de prendre patience. Que mes « antennes » se développeraient et que je finirais par « capter » cette interdépendance entre le monde des vivants et celui des morts.

Elle avait consigné dans un cahier, rangé dans le tiroir du meuble du téléphone sous l’horloge, toutes les directives à suivre concernant son incinération, les gens à appeler, les textes à lire et la musique à diffuser lors de son enterrement. Plusieurs mois avant sa mort, elle nous avait convoqués pour nous distribuer de la vaisselle, des meubles ou des objets à donner à tel ou tel cousin. Pour nous montrer où étaient les clefs, les papiers de la voiture, la collection de santons pour la crèche, enveloppés dans leurs tout petits papiers bulle. La marche à suivre pour « l’après ».

À 93 ans, elle ne pouvait plus observer son jardin et ses mangeoires à oiseaux que depuis ses fenêtres, à cause de ses pertes d’équilibre. Elle était tombée plusieurs fois. Lors d’une de mes visites, je remarquais que sa cheville avait triplé de volume. Une entorse ? Non non, elle avait mis du Voltarène, ce n’était rien. Sa peur de l’hôpital, dont, à son âge, « on ne ressortait pas », s’était étendue aux médecins. Depuis quelques années, on évoquait différents moyens de l’assister au quotidien, des aides à domicile, un logement près de chez nous, pour être plus proches… Mais l’idée de devoir quitter sa maison était pour elle inenvisageable.

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Elle ne voulait surtout pas qu’on l’aide, qu’on trouve des « solutions ». Jusqu’à la fin, son apparence semblait contribuer au maintien de sa dignité. Elle continuait de faire venir une coiffeuse, à s’inquiéter de ses sourcils ou à commander des chaussons neufs car les siens étaient usés.

Elle est partie chez elle, dans sa chambre, entourée

Un jour de décembre, elle a décidé que c’était le moment. Noël, qui n’était pas une fête qu’elle appréciait, approchait. Elle a peu à peu arrêté de s’alimenter. Lors de notre dernière conversation téléphonique, alors que je m’inquiétais de son état, elle m’avait fait comprendre, sans pincettes, qu’il fallait arrêter de l’appeler et m’avait dit au revoir. Ses mots étaient durs, mais sans détour. Elle s’opposait alors à toute visite, jusqu’à ce que mes parents lui désobéissent et viennent s’installer temporairement chez elle.

Quelques jours plus tard, c’est aux côtés de mon frère et de ma sœur que j’ai à mon tour pris le train, ne respectant pas – je m’en rends compte aujourd’hui – son consentement. À notre arrivée, elle ne parlait déjà plus. Difficile de savoir si elle était encore consciente, après plusieurs jours alitée, ayant accepté d’avaler tout au plus quelques gorgées d’eau. Elle qui était déjà très maigre habituellement l’était d’autant plus. Le regard ailleurs, mais les yeux bien ouverts. Elle semblait concentrée sur son objectif, partir, et ne surtout pas vouloir qu’on la retienne.

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Contre sa volonté, nous avions fini par opter pour une hospitalisation à domicile, afin de lui apporter des soins palliatifs. Une heure après l’installation de son lit médicalisé et d’une perfusion par une infirmière, elle est partie, comme pour nous signifier que sa détermination était plus forte. Nous étions là tous les cinq, ce 6 décembre 2017. Elle est partie chez elle, dans sa chambre, entourée. Mais non sans souffrance.

Je ne sais pas comment la législation sur la fin de vie va changer et dans quelle mesure. Je ne sais pas si ma grand-mère aurait choisi une méthode « d’aide active à mourir » si elle l’avait pu. Peut-être qu’elle serait partie de la même manière. Mais je sais qu’elle aurait aimé avoir le choix. Celui de préparer la fin de sa vie et de la choisir, avec moins de souffrance.

Sur nos balcons et fenêtres, nous avons tous installé des mangeoires à oiseaux, où viennent – même en plein Paris – se nourrir mésanges et autres petits « messagers » ailés. Les antennes sont à l’écoute.

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