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« Les bassines favorisent un type d’agriculture qui est peut-être dépassée »

Durant l’été 2022, un peu avant, et même plusieurs mois après, la France a connu une période de sécheresse extrême. Au mois de février 2023, notre pays a battu un record de jours sans pluie.

Si nous remontons le fil du temps de quelques mois, au 5 août, MétéoMétéo France annonçait une situation de sécheresse des sols généralisée sur l’ensemble du territoire métropolitain. Avec de nombreuses régions au niveau des records secs historiques. La Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Corse, l’Occitanie et même le Grand Est. Aucune amélioration n’était en vue avant le milieu du mois d’août. Pire, des aggravations étaient prévues.

Par manque de précipitation. Mais aussi, du fait d’une chaleurchaleur excessive. « L’effet d’un été chaud, c’est qu’il amplifie le déficit pluviométrique. Parce qu’il favorise l’évaporation et les consommations. C’est ce que nous observons cette année. Et ce à quoi nous devons nous attendre à l’avenir », nous explique Agnès Ducharne, chercheuse du CNRS au laboratoire Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols, en préambule.

Les simulations des pluies pour le futur restent incertaines. Toutefois, dans le contexte de réchauffement climatiqueréchauffement climatique anthropique, les climatologuesclimatologues s’attendent à des régimes changeants. « Pour la France, les dernières projections disponibles montrent des précipitationsprécipitations estivales globalement en baisse. Alors même que le signal hivernal, lui, semble à la hausse, donnant finalement un régime pluviométrique plus contrasté. Il apparaît également une structuration nord-sud avec une moitié sud du pays qui a tendance à s’aridifier », nous détaille Eric Sauquet, directeur de recherche en hydrologiehydrologie à l’Institut national de recherche pour l’agricultureagriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). « Les régimes hydrologiques sont en train de changer. Et en conséquence, la gestion de l’eau de demain ne sera pas la même que celle d’hier. »

« Plus le réchauffement climatique sera important, plus les changements dans les régimes de précipitations seront marqués. Donc la première mesure à prendre, c’est incontestablement de limiter le plus rapidement possible nos émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre (GES) », remarque Agnès Ducharne. « Mais le train – du réchauffement climatique – est en marche, souligne Eric Sauquet. Et nous sommes à bord. » Alors en parallèle des mesures indispensables d’atténuation, il faut aussi désormais penser adaptation.

Stocker l’eau de l’hiver pour passer l’été ?

Et l’année 2022 nous a malheureusement rappelé brutalement quelques-unes de ces mesures d’adaptation à court terme. Des mesures d’urgence, même, pourrait-on dire. Les arrêtés préfectoraux de restriction d’usages sont de celles-là. L’alimentation par des citernes ou des eaux en bouteille aussi.

2022 a aussi relancé le débat du stockage. L’idée aussi vieille que l’humanité que, comme il coule et il tombe de l’eau en hiverhiver, il suffit d’en mettre de côté. En prévision des périodes plus sèches de l’année. « Le stockage de surface, c’est la principale mesure d’adaptation à la sécheresse mise en œuvre dans le monde », nous fait remarquer Bernard Saunier, membre de l’Académie des technologies et ancien président de Lyonnaise des Eaux Services Associés et de la Safege, une filiale de Suez. « En période de sécheresse, il permet de préserver les usages. Et il ne faut pas oublier qu’il permet aussi de lisser les crêtes de débitsdébits en période de fortes pluies. » Ainsi aux Pays-Bas, déjà, la recharge d’aquifèreaquifère est utilisée pour absorber le surplus d’eau qui peut arriver sur un territoire et éviter les inondationsinondations.

« Mais ce n’est pas aussi simple », prévient Patrice Garin, agronome et géographe à Inrae. « Stocker les ressources en eau dans l’espoir de réguler des flux qui deviennent de plus en plus intermittents, c’est non seulement compliqué, mais aussi pas assuré. Le lac de Serre-Ponçon – c’est le plus grand stockage d’eau de France – est arrivé, l’été 2022 à un niveau historiquement bas. Quand il n’y a pas d’eau, il n’y a pas d’eau. Nous devons désormais nous projeter dans un futur dans lequel même notre capacité à remplir les réservoirs est remise en question. »

C’est bien pourquoi selon Bernard Saunier, la première chose à faire, c’est de réfléchir. « Les études hydrologiques de dimensionnement des réseaux pluviaux et d’écoulement des eaux de pluie ont été conduites avec des régimes hydrologiques qui font partie du passé. Il y a urgence à les reprendre avec les régimes hydrologiques actuels. Ceci conduira inévitablement à renforcer les stockages, à augmenter les canaux d’écoulement, les diamètres de tuyaux d’évacuation des eaux de pluie, etc. » 

Des bassines pour soutenir l’agriculture ?

Sur les réseaux sociauxréseaux sociaux – et ailleurs -, le débat s’est alors enflammé autour de la question des bassines. Les bassines ? Il ne s’agit pas là de petits récipients que vous pouvez mettre dans votre jardin pour récupérer l’eau de pluie. Mais plutôt de réserves d’eau géantes. Constituées de manière très marginale grâce au ruissellement des eaux de pluie. Le plus souvent toutefois à partir d’une eau pompée dans un cours d’eau ou dans une nappe souterraine. L’hiver, quand la ressource est la plus disponible. L’idée, bien sûr, étant de restituer cette eau l’été. Quand l’agriculture en a besoin.

Le saviez-vous ?

Il existe un seul moyen de produire de l’eau douce. Par dessalinisation de l’eau de mer. Mais la technique a ses limites. D’abord parce qu’elle coûte cher. Ensuite, parce qu’elle est fortement consommatrice d’énergie. Enfin, parce qu’elle produit des saumures et perturbe ainsi les écosystèmes.

Sur la question, les avis des experts que nous avons interrogés divergent quelque peu. Pour Agnès Ducharne : « Le meilleur endroit pour stocker de l’eau, c’est dans une nappe souterraine, l’abri de l’évaporation et de la contaminationcontamination. La retirer de la nappe pour la stocker dans une bassine – tout en sachant que les bassines sont parfois remplies par les ruissellements des eaux de pluie – est contreproductif du point de vue de la ressource. » Alors pourquoi certains défendent-ils le principe ? « Parce qu’une fois dans la bassine, l’eau n’est plus un bien commun. Elle devient propriété de quelqu’un. Elle n’est plus soumise aux arrêtés de restriction des usages. »

Pour Bernard Tardieu, vice-président du pôle ÉnergieÉnergie à l’Académie des technologies, le problème est ailleurs. « Les bassines favorisent un type d’agriculture qui est peut-être dépassé. » Une agriculture qui consomme de l’eau sans compter. « Le bléblé est récolté en juillet. Pour le blé, pas de problème. Même cette année. En revanche, ceux qui ont voulu planter du maïsmaïs sont en difficulté. Parce que le maïs pousse au moment où le manque d’eau se fait le plus ressentir. Planter du maïs, ce n’est pas critiquable en soi. Mais le risque de l’aléa climatique est grand. Sans irrigationirrigation, ça devient compliqué. »

Pour Patrice Garin, c’est bien pour ça que les bassines posent question. « Est-il légitime de financer des ouvrages qui ne profiteront qu’à un nombre limité d’agriculteurs, un agriculteur sur six qui irrigue ? Que fait-on pour les autres, ceux qui n’irriguent pas ? Il faut aussi veiller à une certaine équité. Et ne pas oublier que construire des réservoirs revient aussi à modifier le régime hydrologique. Qu’allons-nous laisser à la nature ? Qu’allons-nous détourner pour alimenter nos activités ? »

Eric Sauquet, quant à lui, évoque une question qui reste en suspens, celle de la qualité des eaux douces stockées dans les bassines. « C’est à l’étude. » Il nous rappelle aussi que l’eau est un bien commun. « Tous les usagers doivent en avoir conscience. Les agriculteurs ne peuvent pas revendiquer un stock d’eau sans, en retour, faire des efforts sur leur demande. » Il tient par ailleurs à préciser que, contrairement aux idées reçues, l’eau n’arrive généralement pas en excès en hiver. « Les systèmes vivent toute l’année. Certains processus sont actifs pendant la période hivernale. Des prélèvements inconsidérés pendant cette période peuvent mettre en péril le fonctionnement d’un cours d’eau ou d’une nappe. On ne peut pas dire, aujourd’hui, que l’effet d’un prélèvement généralisé sera nul. Des études sont en cours pour préciser les exigences des milieux pour nous éviter des catastrophes. »

Des retenues d’eau généralisées ?

Au-delà des bassines qui font débat aujourd’hui, les retenues et les barrages ont fait débat par le passé. Au moment de leur constructionconstruction. « On en construit moins parce que ça modifie parfois profondément le fonctionnement du cours d’eau », commente Patrice Garin. Mais il en existe un certain nombre en France. Les plus importants restant bien sûr les barrages hydroélectriques. Qui, en plus de servir à produire de l’électricité, soutiennent les niveaux d’eau dans les rivières et certains usages. Y compris récréatifs. « Sans l’eau des réservoirs, les activités de canoë seraient difficiles en été », remarque Agnès Ducharne.

Vouloir retenir l’eau excédentaire de l’hiver fait donc sens. Jusqu’à un certain point. Gare en effet à la fausse impression de sécurité de l’approvisionnement que cela peut procurer. La preuve depuis l’été 2022. La plupart des retenues ont été vidées. « Le risque, c’est que laisser penser aux agriculteurs qu’ils peuvent augmenter à l’envi leurs surfaces irriguées. En cas de sécheresse, ils seront alors d’autant plus vulnérables », observe la chercheuse du CNRS.

« Finalement, la meilleure façon de stocker l’eau de l’hiver, c’est de laisser faire la nature. De laisser les pluies percoler vers les nappes souterraines. Celles-ci peuvent stocker l’eau sur plusieurs mois. Dans certains cas, sur plusieurs années. Et elles peuvent ainsi alimenter aussi bien les pompages pour les usages humains que soutenir les débits des cours d’eau pour maintenir les écosystèmes. »

Un coup de pouce à la nature pour stocker l’eau ?

C’est pourquoi, en plus des solutions de stockage en surface, les scientifiques étudient la pertinence de solutions de stockage en sous-sol. « La recharge maîtrisée d’aquifère existe depuis des décennies », commente pour nous Marie Pettenati, une hydrogéologuehydrogéologue experte de la question au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGMBRGM). Rappelons qu’aquifère, c’est le nom que les scientifiques donnent aux roches capables, justement, de stocker de l’eau. « En France, nous n’y sommes pas encore, mais il faudra y venir », estime Bernard Saunier.

La recharge d’aquifère peut se faire à partir d’eaux de surface – celle des cours d’eau -, d’eaux de pluie ou encore d’eaux uséeseaux usées traitées – la Californie est pionnière en la matièrematière. Et soit par l’intermédiaire d’un bassin d’infiltration qui permet de diriger l’eau vers une nappe située juste en dessous – on parle alors de recharge directe -, soit par l’intermédiaire d’un puits – c’est la recharge indirecte – par lequel on va injecter de l’eau jusqu’à une nappe plus profonde, généralement une nappe captive. L’eau est alors piégée dans la nappe. « La technique est le plus souvent implémentée dans des aquifères de qualité dégradée. Parce qu’en injectant de l’eau de meilleure qualité dans les eaux souterraines saumâtressaumâtres, par effet de densité, on crée une bulle d’eau douceeau douce dans laquelle on pourra, plus tard, puiser à des fins agricoles ou domestiques », nous précise Marie Pettenati.

En France, le stockage par recharge d’aquifère est en place sur une cinquantaine de sites. C’est l’exemple du champ de captage de Crépieux Charmy (69). « D’immenses bassins réinfiltrent les eaux du Rhône. L’objectif est de créer un dôme hydraulique qui permet de protéger l’eau d’éventuelles contaminations imprévues. Qui permet aussi de retenir cette eau un peu plus longtemps sur le territoire que si elle devait partir directement dans le Rhône. Qui permet enfin de diminuer les traitements et de soutenir le champ captant », nous explique l’hydrogéologue du BRGM.

Ce sont là, résumés, tous les avantages de la recharge d’aquifères : la protection contre l’évaporation et les contaminations – si l’on compare à des retenues à l’airair libre – et les grandes capacités de stockage – même si une réglementation existe déjà sur les volumesvolumes prélevables à cet effet. En plus d’un coût qui reste modeste. « En revanche, il est important de s’assurer au préalable de la qualité de l’eau qu’on injecte dans l’aquifère. Pour éviter de dégrader la qualité de l’eau dans la nappe », précise encore Marie Pettenati. Parce que la question de la quantité d’eau est importante. Mais celle de sa qualité de l’eau l’est presque autant.

« Nous avons un potentiel de stockage d’eau très important dans nos nappes, il nous faut développer et mettre en place des moyens de recharge tels qu’à la fin de chaque hiver nous soyons certains que ces réserves soient complètement rechargées, avance Bernard Saunier. Mais en aucun cas, recharger les aquifères n’apportera de la ressource supplémentaire », nous met en garde l’hydrogéologue. Bernard Tardieu le confirme. « Il faut être prudent lorsque l’on entreprend de recharger artificiellement un aquifère. S’assurer que l’on utilise réellement une eau excédentaire. Parce qu’il ne faut pas oublier que l’eau de pluie recharge naturellement les nappes comme les fleuves. En rechargeant un aquifère en amont en dehors d’une période de crue, on court le risque de priver d’eau douce les populations en aval. Voire de permettre aux eaux salées de remonter le fleuve et finalement, de dégrader l’état des nappes. » « La technique doit avoir pour seule ambition de limiter les conflits d’usage en période de tension et elle ne peut venir qu’en complément d’autres mesures », conclut Marie Pettenati.

Le reuse ou la réutilisation des eaux usées

D’autres mesures comme la réutilisation des eaux usées ? Le reuse comme disent les experts. Pour Bernard Saunier : « C’est une évidence. Les techniques existent. Elles sont utilisées dans le sud de l’Europe, le nord de l’Afrique ou le Moyen-Orient, mais encore peu en France. Il faudra s’y mettre. » Marie Pettenati est du même avis. « Pour l’irrigation ou des usages industriels, il est urgent d’implémenterimplémenter ces techniques de réutilisation d’eaux usées traitées. Il existe aujourd’hui même des projets visant à stocker ces eaux dans des nappes non utilisées pour les usages d’eau potable. Ces eaux peuvent alors aussi servir à éviter l’intrusion saline et à protéger le champ captant qui alimente une ville en eau potable. »

Patrice Garin, lui, est plus réservé. « Sur les zones littorales où les eaux usées traitées sont rejetées à la mer et “perdues”, dans les régions où elles sont rejetées dans un milieu fragile ou encore dans les îles où l’eau douce manque cruellement, c’est sans doute une idée à exploiter. Mais n’oublions pas que la plupart du temps, les eaux usées traitées sont rejetées dans le milieu. Dans un fleuve. Elles finissent donc par être réutilisées. Ce qui me fait dire qu’on peut voir le reuse comme une réallocation des eaux. Parce que l’eau qui allait initialement à la nature est détournée à l’usage du monde agricole, par exemple. Ça va à l’encontre du principe d’eau bien commun. Et ça peut créer des tensions entre anciens et nouveaux utilisateurs. Parce que la réutilisation des eaux usées traitées, elle non plus, ne crée pas de la ressource. »

Pour s’adapter aux nouvelles situations de sécheresse qui nous attendent, il n’y a donc finalement pas une seule solution, mais bien plusieurs. « Il faut éviter tout discours généralisant, souligne Patrice Garin. Parce que les ressources en eau sont localisées. Parce que les propriétés hydrogéologiques des nappes ne sont pas partout les mêmes. L’eau qui tombe dans le Bassin parisien ne servira pas à Marseille. Des solidarités et des transferts peuvent se créer par les fleuves, notamment. Mais au-delà, ça devient extrêmement coûteux. Il faudra faire avec l’eau qu’on a sur le territoire et avec les capacités d’adaptation qu’on a. »

« Il faudra faire au cas par cas, confirme Marie Pettenati. En gardant à l’esprit que nous devrons sécuriser notre alimentation en eau potable. Parce que si on peut tenir trois semaines sans manger, trois jours suffisent à mourir de soif. » « L’idée, c’est de se rendre moins vulnérable. Quoi qu’il arrive. Pour être le moins tributaire possible de la variabilité et des sautes d’humeur du climat, ajoute Eric Sauquet. Il faut déterminer les solutions socialement acceptables et physiquement possibles en fonction de la ressource disponible. Il n’y aura pas de solution miracle. Toutes auront un impact. Il y aura forcément des compromis à faire. »

La sobriété comme ligne directrice

D’autant qu’« en matière d’eau, le réchauffement climatique n’est malheureusement pas le seul problème qui se pose à nous , remarque Bernard Tardieu.  Les besoins qui augmentent avec la population et la mauvaise gestion de la ressource en sont d’autres tout aussi importants. » Ici comme en beaucoup d’autres lieux, la surexploitation de la ressource est montrée du doigt. « Il y a des signes de surexploitation chronique dans plusieurs régions de France. Dans les Deux-Sèvres, en Charente, dans la Vienne », nous précise Agnès Ducharne. « Ce ne sera pas suffisant, mais nous devrons mettre en place des mesures de sobriété », commente Bernard Saunier.

Une première façon de limiter nos besoins en eau, c’est la chasse aux fuites. Cela semble l’évidence. Mais les expériences de nos experts font, là encore, apparaître des difficultés. « À Alger, il y a 50 % de pertes d’eau. Tout le monde applaudit des deux mains quand la décision est prise de financer des travaux de rénovationrénovation du réseau. Pourtant, malgré les bénéfices à long terme, personne ne veut des désagréments immédiats que cela engendre, les routes ouvertes, le bruit, etc. », nous raconte Bernard Tardieu.

Côté sobriété à proprement parler, les regards se tournent naturellement d’abord vers l’agriculture. Parce que le secteur est, en France, le premier consommateur d’eau avec 45 % des 5 milliards de mètres cubes d’eau consommés dans notre pays chaque année. Les scientifiques suggèrent ainsi que l’heure est peut-être venue de cultiver des espèces moins gourmandes en eau. « Cultiver du maïs dans des régions sans réserve d’eau, est-ce réellement une priorité », interroge Bernard Saunier. « Il faut réfléchir à créer des moyens de régulariser la situation en fonction de nouvelles “normales”. Faire des choix d’usage en définissant une hiérarchisation de leur importance. »

L’autre piste, c’est celle du financement de techniques d’irrigation plus efficaces. Au goutte-à-goutte et au sol et la nuit plutôt que par aspersion en plein milieu de l’après-midi. « Il y a là de réelles décisions stratégiques et politiques à prendre », souligne Bernard Tardieu. Agnès Ducharne le confirme. « Compter sur les plus vertueux ne suffira pas. Nous aurons besoin de politiques publiques, d’incitations voire de taxations pour que des économies d’eau soient faites par tous. Sur le prix de l’eau, par exemple, avec une tarification progressive pour décourager de consommer trop. Et peut-être aurons-nous même besoin d’une certaine part de contrainte, par des quotas pour certains usages. Parce que ce n’est pas facile de changer ses habitudes. »

« Les débats, aujourd’hui, se focalisent beaucoup sur les stockages. Et c’est un sujet. Mais rappelons-nous que l’irrigation, c’est moins de 5 % des surfaces agricoles exploitées en France métropolitaine, nous fait remarquer Patrice Garin. Pour les autres, il y a une solution qu’on n’a absolument pas travaillée dans notre pays. Pourtant, elle devrait faire consensus. C’est la seule solution qui peut s’appliquer sans regret ni risque sur l’ensemble du territoire. » Les sols peuvent en effet retenir beaucoup plus d’humidité qu’ils le font aujourd’hui. Pour les y aider, il faut mettre en œuvre des techniques dites d’agroécologieagroécologie. Il faut augmenter la matière organique présente dans les sols – une sorte d’opération gagnante sur tous les points car elle permet aussi de stocker du carbonecarbone et de limiter ainsi le réchauffement climatique -, protéger les sols de l’érosion, diminuer le nombre de labourslabours, favoriser l’infiltration, replanter des bocagesbocages, renaturer les cours d’eau et même, désimperméabiliser les villes.

« Gérer l’eau, c’est d’abord gérer les sols. Aujourd’hui, les sols sont presque vus comme de vaguesvagues supports sur lesquels faire pousser des choses. Demain, il faudra revenir à des sols vivants. Sinon, nous n’y arriverons pas. Pour cela, il faudra révolutionner le monde agricole », estime le chercheur à l’Inrae.

En attendant, un coup de pouce pourrait tout de même aussi venir d’un changement de notre régime alimentaire. Parce que pour produire un kilo de viande, il faut plus d’eau que pour produire un kilo de protéineprotéine végétale. « Et puis, si on n’est plus sûr de pouvoir abreuver le bétail, ça pose un vrai problème plus que de bien-être, mais de survie des animaux. On ne peut pas accepter d’avoir des troupeaux qui meurent de soif… et de faim, nous fait remarquer Agnès Ducharne. Un régime flexitarien, c’est moitié moins de viande que ce que consommait la génération précédente et c’est bon pour la santé, pour l’eau et pour les émissions de gaz à effet de serre. On gagne sur tous les tableaux. »

Tous les secteurs de l’économie et de la vie en question

Mais l’agriculture n’est pas la seule à consommer de l’eau. Et il y a donc d’autres leviers de sobriété. Trouver, dans nos mix énergétiquesmix énergétiques, un équilibre entre la production électrique qui consomme de l’eau – environ 30 % des 5 milliards de m3 annuel – et celles qui en dépendent moins, le photovoltaïque et l’éolien. « Consommer moins d’électricité, c’est aussi une façon d’économiser l’eau, souligne Agnès Ducharne. Il y a là comme une synergiesynergie des sobriétés. »

L’eau domestique et potable compte, quant à elle, pour 20 % de nos consommations annuellesannuelles. C’est l’équivalent de 150 litres par Français chaque jour. « Faire baisser cette moyenne à 120 litres ne demanderait pas beaucoup d’efforts. On peut y arriver en utilisant le petit bouton des toilettes et le programme éco du lave-lingelave-linge ou en réduisant un peu le temps passé sous la douche. Et ça n’empêche pas de pouvoir se faire plaisir avec un bain de temps en temps », commente la chercheuse du CNRS. « On peut aussi troquer le jardin anglais contre un jardin plus méditerranéen. Et se poser la question de la pertinence du modèle du pavillon avec piscine », ajoute Patrice Garin. « L’eau potable, c’est un sanctuaire qu’il faut à tout prix sécuriser. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur notre consommation individuelle, nos habitudes et nos comportements. Jusque dans les plus intimes de nos comportements. Doit-on continuer d’évacuer nos toilettes avec de l’eau potable ? C’est le genre de question qui va nous remuer dans les décennies à venir. Les changements ne seront pas immédiats, mais les générations futures devront apprendre à faire avec beaucoup moins d’eau que nous. Parce que si jusqu’à présent les sécheresses ont surtout touché les usages économiques de l’eau, à l’avenir, elles concerneront aussi la population. Nous devons tous et chacun consentir quelques efforts. »

« Grâce à des moyens technologiques, nous essayons de trouver des solutions, mais il y a des choses que nous ne maîtriserons jamais. Nous ne créerons jamais de ressources en eau. La voie de la sagesse, c’est donc de réduire notre dépendance à l’eau », confirme Eric Sauquet.

D’autant que « la sobriété, ça ne fait pas seulement économiser de l’eau. Ça fait aussi gagner de l’argentargent et souvent ça limite nos émissions de GES. Si nous voulons éviter de continuer à dépasser les unes après les autres les limites planétaires, c’est vers quoi il faut tendre. Pour ne pas dire ensuite : “Mince, si on avait su.” Parce qu’on sait. Et depuis un sacré bout de temps… », conclut Agnès Ducharne.

Written by Emilie Grenaud

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