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La circoncision

L’enfant était dans les bras de sa mère. Il ne pleurait pas, il était serein, lové dans son linge, elle venait de l’allaiter et il s’était endormi paisiblement, du sommeil du juste, les yeux fermés, sa petite poitrine se soulevait à chaque battement de cœur.

Sa mère le regarda avec angoisse, ce moment tant attendu, elle le redoutait ; elle était nerveuse à l’idée qu’elle ne le tiendrait pas dans ses bras, elle avait peur que l’enfant ne pleure, qu’il souffre, qu’il soit blessé. Elle craignait aussi la vue du sang. Et il était si petit. Mince et délicat, les traits fins. Les yeux encore aveugles cherchaient des formes, les mains étaient repliées, les petits poings serrés comme les nourrissons, cet instinct défensif archaïque qu’ils ont sans doute pour se protéger et être prêt à combattre, un réflexe de peur devant la menace : quand on est si petit, tout paraît menaçant, on sursaute à chaque cri, on frissonne à chaque courant d’air, on pleure à chaque fois. Il était si fin et menu qu’elle se demandait comment elle allait pouvoir supporter qu’on accomplisse ce geste rituel, ancestral, spirituel, et pourtant il le fallait bien.

Le moment était arrivé. Elle aussi, dans la petite synagogue blanche. Elle ne voulait pas le lâcher. Elle était fière car en ce jour, ce huitième jour, il devenait juif, alors que s’accomplissait en sa chair l’alliance ancestrale. Elle était tellement heureuse de l’avoir mis au monde. Mais aussi tellement angoissée à l’idée que l’on touche à son bébé, celui qu’elle avait porté dans son sein, précieusement, qui était né un peu avant terme, alors qu’elle ne s’y attendait pas, étant en voyage loin de chez elle, prise au dépourvu et il avait fallu improviser une couche, un lit, un endroit où donner la vie. Son époux l’avait aidée, elle avait poussé et c’était lui qui l’avait sorti de son ventre.

Puis après la naissance, ils étaient vite rentrés chez eux. L’enfant avait tout juste 8 jours. Et le jour de la circoncision était arrivé. La cérémonie avait lieu chez elle, dans la petite pièce modeste où ils vivaient, elle et son mari. Ils étaient pauvres, et ils avaient fait comme ils pouvaient pour recevoir au mieux le rabbin, le mohel, le circonciseur, la famille et quelques amis.

Elle tendit l’enfant au mohel, pendant que tous chantaient les prières rituelles pour la milah, qui signifie à la fois la circoncision et le mot. Une façon d’écrire dans la chair le manque et le fait de s’ouvrir à l’autre, voilà ce que veut dire ce rituel qui allait marquer sa vie. Dans la Torah, il était écrit que quand le Messie viendrait, les hommes seraient naturellement ou symboliquement circoncis. Alors ils naîtraient tous déjà prêts à s’aimer, les uns les autres et la circoncision ne sera pas nécessaire pour établir l’Alliance.

Alors le mohel le fit, il prit le couteau, et il souleva le linge. Il donna au petit un lange sucré à téter, puis il prit le minuscule bout de chair, et il coupa d’un geste vif précis. On perçut un petit cri de surprise, puis quelques pleurs. Le bébé se mit à téter le lange. Le signe juif était désormais écrit dans son corps, comme il l’avait été de génération en génération depuis Abraham, le bien-aimé patriarche, le premier à avoir contracté l’Alliance, à l’âge de 99 ans. À cette occasion, il avait changé de nom : Abram était devenu Abraham, ancêtre d’une « multitude de nations », comme le dit le texte : « Tu observeras mon Alliance, toi et ta descendance après toi, de génération en génération. »

À présent, c’était le temps de son fils. Le rabbin lui tendit l’enfant qui ouvrait les yeux, bien grands, tout écarquillés, soulagé de retrouver la chaleur et l’odeur de sa mère, ses bras, et l’air un peu scandalisé de ce que l’on venait de lui faire. Elle lui sourit, soulagée. Cette épreuve, ce fardeau et cette fierté d’être juif, était désormais sa destinée. Le bébé la regardait, elle était sûre qu’il la voyait, maintenant il la contemplait, l’air pensif, génial comme un petit sage, un être surnaturel de beauté et d’intelligence. Elle sourit avec hébétude et fierté comme une mère juive, il était vraiment le plus beau du monde, il avait l’air tellement fort, intelligent, déterminé et intense. Elle lui donna un baiser sur le front, il ferma les yeux et sourit aux anges.

Le rabbin s’approcha, c’était le moment de lui donner son nom.

Yéhoshoua, murmura-t-elle.

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Written by Mark Antoine

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2 Comments

  1. Je vous invite à considérer l’avis du théologien et rabbin Abraham Geiger sur la circoncision : “je ne peux défendre la circoncision avec la moindre conviction au seul motif que nous lui avons de tout temps accordé une grande considération. Elle demeure un acte barbare et sanglant qui emplit le père d’angoisse et provoque un stress important chez la mère. L’idée de sacrifice, qui autrefois conférait à l’acte une dimension sacrée, a bel et bien disparu pour nous, tant mieux. C’est une coutume brutale qui devrait cesser. Qu’importe le sentiment religieux qui a pu y demeurer associé par le passé, de nos jours elle n’est plus perpétuée que par habitude et par crainte.”

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