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« J’achète ce dont j’ai besoin, pas ce dont j’ai envie »

« J’achète ce dont j’ai besoin, pas ce dont j’ai envie »

Chevilly-Larue (Val-de-Marne)

De notre envoyé spécial

Christelle montre un tube de mayonnaise, avant de le déposer dans son chariot, tout sourire. « C’est pour me faire un petit plaisir, dit-elle. Avec un œuf dur et une tomate, ce sera parfait. Ailleurs, je ne l’aurais pas acheté, c’est trop cher pour moi. » Ici, le « petit plaisir » lui reviendra à 8 centimes et son panier de courses, avec viande et poisson, à 2,58 €. Le magasin, aménagé dans une petite galerie commerciale donnant sur une place, au pied d’une tour de ­Chevilly-Larue (Val-de-Marne), est une épicerie solidaire. À la caisse, le client paye 10 % du prix réel.

Baptisé Sol’Epi, ce commerce est ouvert depuis 2009 dans cette commune de 20 000 habitants de la banlieue sud de Paris. Les bénéficiaires y sont orientés par les services sociaux de la municipalité pour une période limitée, de trois à neuf mois. Depuis trois ans, leur nombre a augmenté de 20 %. La faute au Covid, tout d’abord. « Et à l’inflation, maintenant », ajoute Marie Bigot, la directrice de la structure, qui accueille 60 familles par mois, contre 45 auparavant. « On voit bien que les gens restent plus longtemps dans notre file active, parce qu’ils ont des difficultés plus importantes », poursuit-elle.

Âgée de 53 ans et séparée de son compagnon, Christelle a poussé la porte de ce local pour la première fois en janvier 2022, alors qu’elle avait perdu son emploi d’assistante maternelle durant la pandémie. Elle vient de se remettre à la fréquenter en début année, après avoir bénéficié, entre-temps, de l’assistance du Secours populaire. La quinquagénaire touche 900 par mois d’allocations. « En perdant mon travail, j’ai fait la bascule, résume-t-elle. Mais je ne me sens pas pauvre. Disons que j’appartiens à la “petite classe”, pas à la classe moyenne. »

La flambée des prix des produits alimentaires la frappe de plein fouet. En février, cette hausse a été estimée à 14,5 % sur un an par l’Insee, contre 6,2 % pour l’ensemble des prix. Les données définitives doivent être présentées mercredi 15 mars. Christelle en ressent le poids dès qu’elle est obligée d’entrer dans un magasin. « Le pain, le fromage, les fruits, les pâtes, tout augmente, détaille-t-elle. Je ne mange plus de viande rouge, je mets des habits d’occasion et je ne vais plus chez le coiffeur. Je me coupe moi-même les cheveux. Je calcule tout, j’achète ce dont j’ai besoin, pas ce dont j’ai envie. Heureusement qu’il y a des associations pour nous aider. »

Tout l’après-midi, les clients défilent entre les rayons. Priscilla, une maman de 29 ans, est venue avec son fils Malik pour remplir le frigo familial à prix réduit. Elle raconte son dernier passage dans une boucherie « classique » : « On en a eu pour 60 €. Avant, c’était 40 € pour la même quantité de viande. Alors, maintenant, on se restreint, on divise les portions. » Vincent, 32 ans, solide gaillard qui est allocataire du RSA et nouveau venu à Sol’Epi, renchérit : « Tout augmente, ça devient beaucoup trop dur. »

L’épicerie solidaire subit elle-même l’envolée des prix, 40 % de son approvisionnement dépendant d’achats. « Il y a des articles que l’on ne peut plus acheter et d’autres que l’on rationne, comme l’huile », déclare Chantal, bénévole depuis dix ans. « Des produits de base augmentent, c’est alarmant, enchaîne Marie Bigot. Si l’on prend l’exemple de la semoule, le kilo est passé de 1,40 € à 2,13 € en quatorze mois. » Dans le même temps, les dons ont tendance à diminuer.

Quelques rues plus loin, dans les locaux du Secours populaire, la fréquentation a aussi suivi une courbe ascendante. Deux permanences y sont assurées, les mardis pour les fruits et légumes, les jeudis pour les produits secs et d’hygiène. Les colis alimentaires sont destinés à un public proche de celui de Sol’Epi. « À chaque fois, je vois arriver de nouvelles personnes », indique Jean-Pierre ­Julian, secrétaire général du mouvement à Chevilly-Larue.

Les files d’attente s’allongent aussi devant les centres de distribution des Restos du cœur des villes limitrophes. Le nombre de bénéficiaires de l’association fondée par Coluche a augmenté de 21 % en un an dans le Val-de-Marne. « C’est quand même sacrément conséquent, relève Daniel Gissinger, le président du comité départemental. Cela n’avait jamais augmenté à ce point. » La hausse s’explique en partie par un changement des barèmes, pour tenir compte de la hausse du coût de l’énergie. « Le reste, c’est la crise liée à l’inflation », estime le responsable associatif.

La flambée des prix serait-elle en train de fabriquer de « nouveaux pauvres » ? « On ne le voit pas encore dans des chiffres et il faut être prudent avec les données des associations, répond Louis ­Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Mais l’ampleur des statistiques communiquées, par les Restos du cœur par exemple, pose quand même question. Il est certain que l’inflation a des répercussions, pas seulement pour les plus pauvres. Toute une partie de la population subit directement les hausses de prix. »

À Chevilly-Larue comme ailleurs, la même mécanique est à l’œuvre. « L’inflation frappe plus durement les plus modestes, qui ont tendance à consacrer une part plus importante de leur budget à l’alimentation et à l’énergie, rappelle Jean Merckaert, directeur du plaidoyer France au Secours catholique. De façon plus structurelle, les dépenses contraintes et pré-engagées, le loyer, l’énergie, le téléphone, pèsent plus lourd pour ceux qui ont moins. À la fin du compte, avec le choc de l’inflation, leur reste à vivre a probablement encore diminué.»

Mongi peut en témoigner. Ce quinquagénaire, chauffeur livreur de métier, n’a jamais fait appel à une association d’aide alimentaire. « Je vais finir par y penser », glisse-t-il, en rangeant ses courses dans le coffre de sa vieille Twingo blanche sur le parking du Lidl de Chevilly-Larue. Il montre son ti­cket de caisse. « J’en ai pour 67 €, avant c’était entre 45 et 50 € pour les mêmes courses, détaille-t-il. L’inflation, c’est la galère. J’ai deux enfants, ma femme ne travaille pas, en ce moment, je gagne 1 700 € par mois et je fais attention à tout. Quand on a payé le loyer, l’électricité, le téléphone, il ne nous reste presque rien. »

Une autre voiture blanche se gare, une Dacia Sandero. Marie (1), 33 ans, en descend. Elle est venue avec sa mère, Nathalie, qui va régler ses achats. « Je suis dans le rouge », déclare la jeune femme. Mère de deux enfants, elle a perdu son emploi d’assistante de vie auprès de personnes âgées et un problème au cou l’empêche de retravailler. Elle s’est rendue, une fois, à une distribution du Secours populaire, dans une commune voisine. Elle n’a pas envie de recommencer. « La queue était interminable, se souvient-elle. On vient chez Lidl parce que c’est moins cher. Mais, même ici, tout augmente. »

CET ARTICLE A ETE COPIE SUR www.la-croix.com

Written by Mark Antoine

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