“Il n’y a pas de grande démission”

Dix ans de carrière au Royaume-Uni, 20 ans en France, plusieurs années en agence et dans des grands groupes comme Société générale, BNP Paribas ou Kering, où elle a passé dix-sept ans avant de sauter le pas pour créer son entreprise. “Je voulais créer de la valeur différemment avec mes compétences”, raconte Louise Beveridge, experte en communication et responsabilité sociale des entreprises reconnue dans son milieu professionnel. Son idée : développer un vivier d’experts indépendants en communication et marketing, intervenant dans le cadre de missions de management de transition. Une case manquante sur le marché, entre le recrutement classique et le recours à des agences conseil.

“J’ai toqué à la porte d’un cabinet de management de transition mais pour eux, il s’agissait de métiers mineurs, se souvient cette fervente défenseure de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Alors j’ai mis 12.000 euros de mes économies pour créer le cadre juridique, créer un site et déposer la marque, Juste-Maison de talents.” Mais auparavant, Louise Beveridge a cherché le bon partenaire pour se lancer dans l’aventure avec elle. Benoît Cornu, ancien responsable marketing dans les groupes Casino, PMU et Elior, a topé. Point commun des deux associés : l’un et l’autre ont été élus Personnalité communicante de l’année par l’association Communication et entreprise, elle en 2014, lui en 2016.

Challenges. Vous avez démarré votre société, Juste, en pleine crise sanitaire. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Louise Beveridge. Nous avons lancé notre activité le 2 avril 2020 et le confinement s’est révélé un parfait incubateur, car pendant cette période, nous pouvions rencontrer qui nous voulions – à distance, bien sûr. Trois ans après, nous sommes devenus une référence avec un accès à 300 experts indépendants et une quarantaine de clients. Notre modèle économique est viable, nous avons recruté un premier salarié et nous discutons avec des investisseurs pour financer notre croissance et nous accompagner. Nous avons besoin d’investisseurs qui s’intéressent vraiment à ce que nous faisons.

En quoi votre démarche est-elle nouvelle ?

L’expertise évolue, et nous constatons un véritable besoin d’agilité des entreprises : elles veulent pouvoir passer des contrats de prestations auprès d’experts capables de s’intégrer rapidement dans leurs équipes pour un temps donné. Il peut y avoir des recrutements à la clé, mais ce n’est pas systématique. Et de l’autre côté, il y a de plus en plus d’experts qui ne cherchent pas un contrat à durée indéterminée, mais du travail.

Donc vous servez d’intermédiaire ?

Oui, à tous les niveaux. Nous signons les contrats, nous rémunérons les indépendants et nous portons la trésorerie. C’était d’ailleurs l’un des risques au départ, de devoir assurer la trésorerie et de récupérer dans un deuxième temps le montant des factures.

Ce créneau est-il une “niche” ou va-t-il se développer ?

Le confinement a changé le rapport au travail. Il a ouvert les chakras des entreprises qui ont compris qu’il pouvait y avoir plusieurs façons de travailler, et les individus ont changé leur façon d’organiser leur propre travail, avec des rythmes qui peuvent être asynchrones. Le résultat, c’est qu’il y a désormais deux pools de talents, l’un pour le salariat et l’autre pour le travail indépendant. Et celui-ci n’est plus un plan B, mais un plan A. Il n’y a donc pas de grande démission, mais plutôt une grande renégociation, et ce ne sont pas les talents qui manquent.

En France, c’est quelque chose de très nouveau ?

Le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou les pays scandinaves ont une autre vision de l’accès aux talents, avec un cadrage plus souple juridiquement et culturellement. En France, en Italie ou en Espagne, en effet, on se focalise plus sur la protection du salarié, alors que mécaniquement nous allons vers quelque chose de plus souple pour des activités comme la comptabilité, le juridique, le marketing ou les ressources humaines.

Que cache cette transformation des ressources humaines ?

Nous nous dirigeons vers une économie d’usage, où l’on achètera de plus en plus l’accès à un service et non à la propriété, comme c’est par exemple le cas pour la musique ou le cinéma. C’est ce qui est aussi en train d’arriver dans le domaine de l’expertise : aujourd’hui, c’est l’accès qui est essentiel, le contrat devenant secondaire. Les entreprises les plus compétitives seront celles qui auront compris cette évolution. Il peut y avoir temporairement un gel du recrutement sans qu’il y ait forcément un gel des projets.

Notre travail, c’est de trouver le manager qui a le profil en fonction de la situation qu’il s’agit de gérer. Les entreprises en très forte croissance, les scale-up, par exemple, ont besoin d’expertise en matière de lobbying, de communication financière ou encore de gestion de marque. Mais ils n’ont ni le besoin ni les moyens de recruter, ils ont seulement besoin de l’accès à cette ressource.

Toutes les entreprises, tous les secteurs seront-ils concernés à terme par ce basculement ?

Certains clients restent attachés à un process classique dans lequel le titre, le salaire et la perspective de carrière restent les questions principales. Je trouve qu’il y a aujourd’hui plus de modernité chez les individus que dans certaines sociétés car beaucoup d’entre eux veulent exercer leur métier sans avoir à gérer la situation politique interne ou à entrer dans une dramaturgie. Un changement de direction ou la perte d’un job peuvent déclencher ce type de décision. On l’a vu dans des entreprises comme Air France, chez Danone, dans l’immobilier ou encore dans l’hôtellerie. De plus en plus, dans votre parcours professionnel, vous allez alterner des périodes de salariat et des contrats de prestations. Et tous les métiers seront touchés.

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