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Il faut sauver l’éthique !

L’éthique envahit les rayons des supermarchés : on y achète du shampoing « éthique » composé de « produits naturels », des smartphones recyclés ou un tee-shirt produit dans des pays du Sud sans exploiter des mineurs… L’éthique s’est infiltrée dans nos espaces de travail – le « management éthique » –, dans nos portefeuilles – des « investissements éthiques » – pour donner bonne conscience… Plus inquiétant, l’éthique est désormais utilisée pour caractériser des pratiques sociétales : ses promoteurs parlent d’une « gestation pour autrui (GPA) éthique », s’agissant de GPA où la mère porteuse serait consentante et bien payée. Les Gafam, ces géants du Web, nous promettent une « intelligence artificielle éthique », dont les algorithmes nous protégeraient ; tout récemment, en France, dans le débat sur la fin de vie, est sortie l’expression « d’aide active à mourir éthique », justifiant d’ouvrir la voie à l’euthanasie pour les malades en fin de vie…

À chaque fois, c’est la même volonté de se donner un « label » de bonne conscience. Comme une caution morale sur certaines initiatives, en évacuant les questionnements. C’est au fond sans grande importance pour le shampoing. Mais accoler éthique pour la GPA, l’aide active à mourir ou l’IA montre surtout une volonté d’éviter tout débat… véritablement éthique.

L’éthique provoque, interroge

Car l’éthique, c’est tout l’inverse ! La réflexion éthique ne donne directement aucune certitude. Au contraire, elle provoque, interroge (1). Elle ne certifie pas une fois pour toutes. Elle vise à déterminer le « bien agir » face à des cas complexes, en tenant compte des contraintes. C’est une démarche qui nécessite une pluralité de points de vue. L’éthique est par définition mise à la discussion. Elle se fait « avec » : « On entre véritablement en éthique quand, à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit. Je veux que ta liberté soit », disait Paul Ricœur (2). L’éthique provoque toujours un débat. Elle n’a pas valeur de loi en soi, même si ensuite elle peut aider le législateur qui écrit la loi. Elle est une méthode, et ne peut être que consultative. Elle ne saurait devenir cette sorte de norme intangible, suprajuridique, sacralisée, dont on ne pourrait plus discuter, comme une manière de remplacer subrepticement les dogmes religieux, moraux ou politiques. C’est au contraire un processus complexe et fragile, fragilité qu’il faut accepter. L’éthique invite au questionnement, il ne le ferme pas…

Dès lors, apposer comme on en prend l’habitude de manière définitive le qualificatif « éthique », sans plus de précaution, s’agissant de processus aussi complexes que la fin de vie ou la GPA ou l’IA est un grave non-sens. Au-delà, c’est le signe de notre incapacité à nous faire confiance pour confronter ensemble des situations difficiles, se donner des repères, poser des limites, en acceptant des zones d’incertitudes et de remises en cause possibles. C’est la marque d’une société qui, dans un monde d’instabilité comme le nôtre, fuit le questionnement en préférant ses propres certitudes. Il faut sauver l’éthique !

(1) Lire le passionnant ouvrage collectif rédigé pour les 40 ans du Comité consultatif national d’éthique, Quarante ans de bioéthique en France, Odile Jacob, 336 p., 24,90 €

(2) « Fondements de l’éthique », Autre temps n° 3, 1984

CET ARTICLE A ETE COPIE SUR www.la-croix.com

Written by Mark Antoine

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