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dans les Deux-Sèvres, aux sources du conflit de l’eau

Au cœur de la deuxième zone humide de France, dans le Marais poitevin, la guerre de l’eau n’aura pas attendu que l’ONU alerte sur « un risque imminent »de pénurie généralisée pour se déclarer. Depuis l’autorisation en 2018 d’un projet de construction de 16 retenues d’eau sur le département des Deux-Sèvres, ces piscines artificielles géantes, qui s’étendent sur les plaines de la campagne niortaise, sont régulièrement prises pour cible par les militants proches des collectifs Bassines non merci !, et Les soulèvements de la terre et de la Confédération paysanne.

Les 29 et 30 octobre derniers, l’irruption de plusieurs milliers d’opposants aux méga-bassines sur le chantier de la retenue de Sainte-Soline avait donné lieu à de violents affrontements avec les forces de l’ordre. De nouveaux sabotages pourraient être perpétrés du 24 au 26 mars lors d’un week-end de « manif-action » sur les deux communes de Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline.

Une mobilisation « historique » ?

Malgré l’interdiction de manifester édictée par la préfecture et le placement sous contrôle judiciaire du fer de lance des anti-bassines, Julien Le Guet, il y a une semaine, la mobilisation se veut « historique » par son ampleur. Plus de 10 000 personnes « prêtes à démanteler les armes de destruction massive que sont les méga-bassines » devraient converger vers la Sèvre niortaise, selon les termes du collectif, qui réclame un moratoire sur la construction des bassines.

De quoi mettre sur le qui-vive Thierry Boudaud, président de la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (Coop 79), qui réunit les irrigants associés à ce programme. La bassine de Mauzé-sur-le-Mignon focalise son attention. C’est la première à avoir été construite sur les seize prévues. Un dispositif de sécurité a été mis en place pour prévenir les dégradations. Des barrières ont été érigées, des caméras de surveillance hissées et les patrouilles de gendarmerie sillonnent le secteur sans arrêt.

Entre irrigants et militants anti-bassines, une spirale de violences

« Il va leur falloir un trophée. Ici, tous les agriculteurs se regardent en se demandant lequel sera la cible de leurs attaques cette fois-ci, soupire Thierry Boudaud, venu inspecter le site. Certains n’osent plus emmener leurs enfants dans les champs. On retrouve des inscriptions et des menaces sur nos fermes. Nous vivons avec une pression constante. »

C’est vrai aussi pour l’autre camp : mercredi 22 mars, des tracteurs sont venus déverser du fumier et incendier des pneus devant le domicile de Patrick Picaud, dont l’association Nature Environnement 17 est à l’origine de plusieurs recours juridiques contre les bassines.

Les bassines, une fausse bonne idée ?

Pour remonter à la source de ces tensions extrêmes, il faut s’intéresser au fonctionnement de ces équipements destinés à l’irrigation des cultures, dont le volume de stockage peut atteindre jusqu’à l’équivalent de 200 piscines olympiques. Le principe relève, à en croire les porteurs du projet, du « bon sens » : il s’agit de prélever l’eau directement dans la nappe phréatique en hiver lorsqu’elle est abondante et de la stocker en surface, pour pouvoir l’utiliser en été pour sécuriser les récoltes.

Une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) commandée par la Coop 79 concluait ainsi au bien-fondé des bassines. Elles permettent des « gains significatifs » sur le niveau des nappes en période sèche en fournissant « un important soutien » aux débits des cours d’eau en été, assure le rapport.

Les bassines, « un non-sens hydrologique »

Sauf que les bassines seraient, en réalité, « un non-sens hydrologique dans un contexte de changement climatique où les recharges hivernales des nappes phréatiques sont devenues impossibles », selon l’hydrologue Emma Haziza. Il y a quelques jours, le même BRGM révélait que le niveau de 80 % des nappes souterraines en France est inférieur à la normale, ce qui pourrait occasionner des situations critiques dès le printemps.

Emma Haziza insiste sur « le déséquilibre dans le cycle de l’eau que génèrent les bassines », car « les nappes ne se déversent plus dans les cours d’eau comme elles le devraient ».

Le modèle agricole derrière les bassines en cause

Derrière les atteintes à la biodiversité et la détérioration de la qualité de l’eau pointe une réflexion sur le modèle agricole que supportent les bassines. Celles-ci ne seraient que « la dernière invention de l’agro-industrie qui reproduit les mêmes erreurs depuis plus d’un demi-siècle, le tout au nom de la souveraineté alimentaire », argue l’eurodéputé écologiste Benoît Biteau, qui soutient le mouvement anti-bassines.

Pour ce détracteur, les méga-bassines reflètent « une logique de privatisation d’un bien commun qui permettra à une minorité du monde agricole de contourner les arrêtés préfectoraux de restriction d’usage de l’eau en période de sécheresse ». Le tout au profit d’une poignée d’exploitations céréalières qui destinent leur maïs à l’exportation, alors même que ces ouvrages sont financés à hauteur de 70 % par des fonds publics.

« Des efforts, nous sommes prêts à en faire »

Jeune éleveur installé à proximité de la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon, Samuel Baudouin ne se reconnaît pas dans cette assimilation à l’agro-industrie. « L’eau de la bassine ne nous sert qu’à produire le fourrage nécessaire à l’alimentation de nos 400 chèvres. Grâce à cette eau, nous ne sommes plus obligés d’acheter des compléments alimentaires venus de l’autre bout de la planète », explique-t-il.

Depuis deux générations, la famille Baudouin pratique une agriculture de conservation des sols, une méthode qui consiste à bannir le labour mécanique afin de conserver l’humidité dans les sols. « Des efforts, nous sommes prêts à en faire, affirme Samuel Baudouin. Le dialogue, nous sommes prêts à l’engager, mais pas avec un fusil sur la tempe. »

Renouer le dialogue sur le partage de l’eau

En 2018, un protocole d’accord a été signé au terme d’un processus de concertation sous l’égide de la préfète des Deux-Sèvres. Les agriculteurs bénéficiaires des retenues estiment alors avoir pris des engagements forts sur l’évolution de leurs pratiques, qu’il s’agisse de réduire le volume de leurs prélèvements ou d’entamer une transition vers l’agriculture biologique.

« Les Deux-Sèvriens peuvent être fiers d’être les premiers en France à conditionner l’accès à l’eau à des pratiques agricoles vertueuses », se félicitait à l’époque la députée écologiste Delphine Batho. C’est dire les espoirs soulevés par ce mécanisme local de gouvernance de l’eau. Des activistes écologistes l’ont pourtant récusé, accusant les irrigants de continuer les pompages, y compris lorsque les indicateurs du niveau de la nappe sont au plus bas.

Aujourd’hui, seule une intervention des pouvoirs publics pour renégocier les règles de partage de l’eau paraît en mesure de signer la fin de la guérilla rurale qui s’est installée dans les Deux-Sèvres. Beaucoup redoutent un drame comparable à celui de Sivens, où, en 2014, Rémi Fraisse, militant écologiste de 21 ans, a trouvé la mort lors d’une manifestation contre un projet de barrage.

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Seize réserves prévues dans les Deux-Sèvres

1 573 piscines olympiques. C’est l’équivalent du volume d’eau des 16 réserves prévues dans les Deux-Sèvres, projet élaboré par un groupement de 220 exploitations avec le soutien de l’État.

70 millions d’euros. C’est le coût total de ces 16 ouvrages. Il a été récemment réévalué à la hausse pour inclure les coûts de sécurisation. Le financement est assuré à 70 % par des fonds publics. Il est conditionné à l’adoption de pratiques agroécologiques par les irrigants.

93 bassines. C’est le nombre de réserves de substitution en projet dans l’ex-région Poitou-Charentes qui font l’objet de recours. Les opposants craignent que ces projets de stockage de l’eau ne se généralisent dans l’Hexagone.

CET ARTICLE A ETE COPIE SUR www.la-croix.com

Written by Mark Antoine

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