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Comment l’informatique quantique va « rendre potentiellement caduque la dissuasion nucléaire »

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Il y a quelques semaines Thales Alenia Space a signé un contrat avec l’Agence spatiale européenne (ESA) en tant que maître d’œuvre du projet TeQuantS, principalement financé par le Cnes qui « prévoit le développement des technologies quantiques nécessaires au futur réseau Internet quantique pour faire communiquer entre eux les futurs ordinateurs et capteurs quantiques et atteindre des gains de performance exponentiels », nous explique Mathias Van Den Bossche, directeur Recherche, Technologie et Produits au sein de Thales Alenia Space.

Prochaine révolution informatique, « du même ordre de grandeur que de l’avènement de nos ordinateurs actuels », l’informatique quantique est au cœur des enjeux stratégiques des États. La puissance de ce nouveau type d’ordinateurs permettra de résoudre des problèmes d’une complexité actuellement inatteignable comme l’optimisation de la gestion d’une flotte de véhicules, la prédiction des propriétés d’un médicament ou le percement de systèmes de chiffrement. Cela dit, si « l’un des premiers usages de ces ordinateurs quantiques sera bien de percer le système de cryptographie le plus courant en service aujourd’hui, il faut également savoir que les technologies quantiques proposent aussi des solutions pour garantir la sécurité des communications ». Tout l’enjeu est de savoir quelle capacité arrivera à maturité en premier.

Les performances des capteurs quantiques et des ordinateurs quantiques seront décuplées par leur mise en réseau, qui leur permettra d’effectuer leurs tâches de façon distribuée. Mais pour les connecter, il sera nécessaire de déployer des réseaux d’un nouveau type, qui permettent de transférer non plus de l’information classique mais de l’information quantique. L’information quantique peut se transmettre par téléportation d’états de particules quantiques, une opération que l’on sait réaliser depuis 1996 et pour laquelle A. Zeilinger a obtenu le prix Nobel de physique 2022. Comme nous allons le voir, les satellites seront nécessaires pour permettre des communications à longue distance, ce qui explique l’intérêt d’un des leaders mondiaux des télécommunications spatiales qu’est Thales Alenia Space.

La Chine lance un satellite « quantique », une première mondiale

Dans le domaine des réseaux d’information quantique, la Chine a « plus ou moins 10 ans d’avance sur le reste du monde ». En matière de cryptanalyse, elle a déjà réussi à « percer une clé de chiffrement de quelques dizaines de bits », certes encore loin de percer une clé actuelle de chiffrement RSA, l’algorithme de cryptographie utilisé pour échanger des données confidentielles sur Internet, qui compte entre 1 024 et 2 048 bits. La Chine a également réalisé depuis l’espace une liaison quantique entre deux stations au sol distantes de plus 1 200 kilomètres. « Une performance technologique indéniable », et nous allons vous expliquer pourquoi.

À l’aube d’une révolution

En Europe, le retard est certes important mais, il faut savoir que « la plupart des technologies quantiques ont été inventées dans nos laboratoires ». Tout l’enjeu de TeQuantS consiste à les faire « monter en maturité pour qu’elles deviennent opérationnelles et compatibles avec leurs environnements d’utilisation, dans l’espace et sur la Terre ». Cet intérêt pour l’informatique quantique s’explique par son potentiel. Il est si grand que « l’on peut être sûr que l’on n’a pas encore imaginé toutes les possibilités qu’il ouvre ». On s’attend donc à une « une “révolution”, comme l’a été en son temps Internet lorsqu’il a été question de mettre en réseau nos ordinateurs ». Quand Internet a été inventé dans les années 1960, « personne n’imaginait les applications et services qui font partie de notre quotidien aujourd’hui ».

Réussir à mettre en service un réseau quantique et « donc à faire communiquer entre eux plusieurs ordinateurs ou capteurs quantiques », va démultiplier « leurs capacités pour des applications dans de nombreux domaines tels que la cybersécurité, la chimie, la médecine, l’énergie ou la logistique par exemple. » Lorsqu’ils seront en service, ces systèmes quantiques (ordinateurs et capteurs) « ouvriront la voie à des systèmes capables de résoudre des problèmes complexes du monde réel dont les meilleurs ordinateurs actuels ne seront jamais capables ». On parle de calcul « que nous ne pouvons pas faire maintenant car ils nécessiteraient des siècles, voire des millénaires, mais que les ordinateurs quantiques en réseau pourront réaliser dans des délais très courts ».

Mieux encore, avant de passer par l’expérience, certains problèmes scientifiques actuels « qui demeurent difficiles à traiter en raison d’une puissance de calcul insuffisante seront plus facilement résolus ». Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, on sait écrire des équations mais on n’a pas la puissance de calcul suffisante pour les résoudre. Des problèmes qui sont considérés aujourd’hui comme extrêmement complexes, nécessitant des temps de calcul très longs, « seront très simplifiés par l’informatique quantique ».

Un champ exceptionnel de recherche qui s’ouvre

Concrètement, les ordinateurs quantiques – et plus encore après leur mise en réseau – pourront être utilisés pour « explorer avec beaucoup moins de limites les propriétés de nouvelles molécules ou matériaux », concevoir plus « rapidement des médicaments en simulant avec précision leurs propriétés chimiques, un calcul trop difficile pour les super-ordinateurs actuels », fournir des systèmes plus « précis pour prédire la météo et prévoir l’impact du changement climatique ou encore résoudre des problèmes très complexes comme l’optimisation de la distribution d’électricité par les fournisseurs d’énergie ». L’intelligence artificielle et les blockchains tireront également parti des ordinateurs quantiques avec une puissance de calcul démultipliée. Autre exemple fascinant, on imagine utiliser des capteurs quantiques pour surveiller « l’activité électrique des neurones, un par un. Cela ouvre un champ d’application inédit sur la compréhension du cerveau, et la détection des maladies qui lui sont associées ». Mais ce n’est pas tout. Demain, associés à des capteurs quantiques, comme des accéléromètres à atomes froids, ils seront « peut-être capables de détecter la déformation du champ de gravité terrestre que génère la présence de sous-marins et donc rendre potentiellement caduque la dissuasion nucléaire qui repose sur l’utilisation de sous-marins impossibles à localiser ».

“Rendre potentiellement caduque la dissuasion nucléaire qui repose sur l’utilisation de sous-marins impossibles à localiser”

Dans un autre domaine, on peut aussi imaginer l’apparition de gaming quantique en réseau. Le très populaire Minecraft®, qui est un jeu de construction virtuel permettant de créer son propre univers en utilisant des blocs élémentaires en divers matériaux (bois, pierres, verre… et blocs quantiques dont la nature n’est déterminée que lorsqu’on les inspecte) pourrait disposer de vrais blocs quantiques – pour l’instant ces blocs quantiques sont simplement simulés.

La cryptographie, un des enjeux de l’informatique quantique

Dans le domaine de la cybersécurité, il faut savoir qu’un ordinateur quantique peut en théorie « percer les systèmes de partage de clés de chiffrement les plus courants, qui reposent sur la résolution d’un problème très complexe, en très peu de temps, en réalisant toutes les étapes d’un calcul en parallèle, même si elles ont très nombreuses », là où un ordinateur classique doit « traiter le problème de façon séquentielle, une étape après l’autre ». Inversement, la « cryptographie quantique » consiste à « utiliser les propriétés quantiques de la lumière pour faire générer des clés de chiffrement par deux utilisateurs distants localisés n’importe où dans le monde ». Ces clés de chiffrement quantique répondront aux « menaces de l’informatique quantique parce qu’elles ne reposent pas sur un problème complexe comme c’est le cas avec les clés de chiffrements actuels, et fournissent des clés qui sont du vrai hasard à la confidentialité contrôlée : le Graal des clés de chiffrement, car les ordinateurs quantiques n’ont pas de problème complexe à résoudre pour les percer ».

Pourquoi une constellation de satellites ?

Pour comprendre la nécessité d’utiliser une constellation de satellites, il faut savoir que l’un des problèmes rencontrés est la « nécessité de transférer des qubits de manière fiable, c’est-à-dire sans perte et sans erreurs ». Pour s’affranchir de ces deux contraintes, la constellation est la solution et peut-être même la seule, pour « réaliser des communications quantiques longue distance ». Les fibres optiques terrestres ne permettent de transmettre une information quantique que sur quelques dizaines de kilomètres. C’est bien mais « très insuffisant pour envisager la création d’un Internet quantique », de sorte que la « meilleure option pour repousser les limites de la transmission est de passer par l’utilisation de satellites ».

Pour communiquer, les dispositifs quantiques doivent « envoyer et recevoir des qubits en utilisant un canal de communication établi par des particules de lumière dans un état intriqué ». Or, ces qubits s’avèrent sensibles à l’environnement qu’ils traversent. L’environnement des fibres optiques « est dense, et pour cette raison connaît des taux élevés d’absorption de lumière, ce qui perd des qubits ». Or on ne peut pas amplifier un signal quantique au risque de détruire ses propriétés. Il faut donc vivre avec les pertes de transmission, en cherchant un milieu où elles sont les plus faibles possible. C’est le cas de l’espace libre, « qui est un milieu vide où rien ne peut absorber la lumière ». C’est la raison pour laquelle les satellites sont assez incontournables pour les communications quantiques longue distance.

Un service opérationnel pour connecter les ordinateurs quantiques à l’horizon 2035

Encore faut-il le démontrer. C’est tout l’intérêt du projet TeQuantS qui prévoit la « réalisation d’un satellite et de deux stations sol optiques » avec d’ici 2026 la démonstration que l’on « peut relier ces deux stations à partir de ce satellite en orbite en créant un lien de communications quantiques longue distance ». À l’horizon 2030, l’objectif est de démontrer « que l’on peut faire un réseau expérimental, c’est-à-dire enchaîner plusieurs liens, et à partir de là commencer à proposer des systèmes sur le marché des opérateurs Télécoms pour une mise en production vers les années 2035 ».

L’idée, c’est d’utiliser un laser à bord du satellite, pour éclairer un cristal dont la propriété particulière est de générer « des paires de photons liés dans un état intriqué ». C’est à partir de cet état, qui a la propriété d’intrication quantique, « qu’un canal de communication quantique peut être créé et que pourront se mettre en œuvre des protocoles de téléportation de l’information ». Concrètement, dans le satellite, le « laser excite le cristal qui pour que des photons du laser génèrent deux photons corrélés. Ensuite on sépare ces paires en envoyant un photon de chaque paire vers chacune des stations au sol. Une fois que ces photons ont été reçus par ces stations, on peut mettre en œuvre un protocole de téléportation d’état qui fait passer l’information d’un photon à l’autre ». À proprement parler, l’information ne circule pas par le satellite qui sert seulement à produire les paires de photons pour créer le canal.

La mise au point de ce satellite nécessitera la levée de plusieurs verrous technologiques. Tout d’abord, ce sera la « première fois que l’on fera voler une expérience de fabrication de photons intriqués ». Il existe un certain nombre d’incertitudes sur le « comportement d’un cristal non linéaire dans l’espace » et pour la partie optique il sera « nécessaire de réaliser des télescopes avec un pointage précis pour diriger les photons vers les stations sol, ce qui nécessitera un satellite d’une très grande stabilité pour un coût aussi bas que possible ». Concernant les stations au sol, il « nous faut réaliser des équipements et des récepteurs capables de récupérer les photons intriqués, émis par un satellite qui se déplace sur une orbite, engendrant de fait un effet Doppler ». La turbulence atmosphère est également un sujet de préoccupation que les astronomes connaissent bien (la scintillation des étoiles vues depuis le sol).

Enfin, les nuages qui stoppent le signal « sont un très gros points durs ». Pour s’affranchir de cette contrainte forte que « l’on ne pourra évidemment jamais lever, l’idée est de conserver des photons distribués par temps clair ». Cela amène d’autres problèmes, comme celui lié aux « mémoires quantiques pour stocker l’intrication (l’information viendra après quand on voudra communiquer), ce qui pose la question de la durée de stockage des photons ». Aujourd’hui, on parvient à les conserver pendant seulement quelques secondes ; « le but, c’est de les conserver plusieurs jours », et Thales Alenia Space travaille avec des équipes dont le but est de progresser vers cet objectif.

Written by Emilie Grenaud

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