après la libération de Kherson, la peur d’un « deuxième Marioupol »

Si Lioudmila Vavilivna s’est rendue ce 19 novembre en fin de matinée sur la place de la Liberté de Kherson, ce n’est pas pour se joindre aux célébrations de la libération de la ville qui battaient leur plein autour de l’imposant piédestal en marbre sur lequel trônait, jusqu’en 2014, une statue de Lénine. La retraitée de 72 ans ne cherche pas non plus à se joindre aux interminables queues se formant derrière les camions venus décharger de l’aide humanitaire.

Lioudmila, avec son bonnet de laine et sa longue doudoune, est à la recherche d’un moyen de quitter une ville tout juste libérée par l’armée ukrainienne. « Je suis venue ici parce qu’il y a des volontaires, mais personne ne nous dit rien. Je ne comprends pas », se lamente-t-elle après avoir tenté d’extirper quelques bribes d’informations à une autre habitante. Quelques heures plus tôt, elle et les autres passagers d’un minibus se sont recroquevillés de peur en entendant claquer des coups de feu tirés, assure-t-elle, par des soldats russes de l’autre côté de la rivière.

Les plus vulnérables commencent à être évacués

Une semaine après la reprise de la stratégique ville de Kherson par l’armée ukrainienne, la joie toujours palpable d’un retour de l’Ukraine après huit mois d’occupation russe se mêle à la crainte que la ville, désormais de facto sur la ligne de front, ne subisse le pilonnage de l’armée russe. « Quatre-vingt-dix pour cent des habitants partis avec les Russes étaient persuadés que si l’armée russe passait de l’autre côté du Dniepr, (les Russes) se mettraient à bombarder Kherson, et la ville deviendrait un deuxième Marioupol. On ne peut pas exclure que ce sera le cas », reconnaît Volodymyr Hrichitchkine, un habitant de Kherson, resté durant l’occupation.

La crainte des bombardements – des missiles russes ont le même jour frappé le chantier naval de la ville ainsi qu’un village à quelques encablures de Kherson, faisant cinq blessés – s’ajoute à l’ampleur des difficultés humanitaires pour les quelque 90 000 habitants restés là. Bien au-delà des 17 000 d’Izioum, dans l’est de l’Ukraine, jusqu’alors la plus grande ville reprise par les forces ukrainiennes depuis le début de l’invasion russe. « Aujourd’hui à Kherson, il n’y a pas d’essence, pas d’eau, pas de lumière, juste un peu de gaz », énumère Lioudmila Vavilivna. En visite sur place, la ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk déclarait le même jour que les autorités se préparaient à entamer l’évacuation d’une partie des habitants de la ville, notamment des plus vulnérables.

Le défi de l’urgence humanitaire

La situation est en partie provoquée par Moscou : le 6 novembre, quatre jours seulement avant l’arrivée des premières unités ukrainiennes dans Kherson, les forces russes auraient, d’après Kiev, fait sauter deux transformateurs de 250 tonnes dans la principale centrale de la ville, la plongeant – comme toute une partie de la région – dans le noir. Le retour de services d’État comme la poste ou, à l’aube du 19 novembre, le premier train entre Kiev et Kherson depuis plus de huit mois, a certes soulagé les habitants et permis aux autorités ukrainiennes de dessiner une ébauche de retour à la normale, dans une ville toujours euphorique après sa libération. « C’est vrai, on n’a pas de lumière, pas d’eau, et alors ? Je peux sortir, j’entends de la musique, je suis heureuse », s’enthousiasme Alla Vaïda, une professeure de langue russe. « Sous l’occupation, je marchais comme ça », poursuit-elle en baissant le regard vers le sol, comme un résumé de l’atmosphère oppressante qui caractérisait l’occupation russe.

À l’approche de l’hiver, et alors que le pays tout entier est sous la menace de coupures de courant gigantesques, les autorités ukrainiennes doivent maintenant relever le défi de gérer une ville en situation d’urgence humanitaire, à portée de l’artillerie russe et encore habitée par plusieurs dizaines de milliers d’habitants.

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De la prise de la ville au retrait de l’armée russe

Fin février. Les troupes russes prennent la quasi-totalité de la région stratégique de Kherson, puis la ville le 2 mars.

Août. L’armée ukrainienne entame une vaste contre-offensive, qui lui permet de reprendre des dizaines de localités.

30 septembre. À la suite d’un « référendum », Vladimir Poutine proclame l’annexion de la région.

19 octobre. La Russie commence à évacuer vers son territoire des résidents de Kherson et de sa région.

9 novembre. Moscou annonce le retrait de la rive droite du Dniepr dans la région, dont Kherson. Kiev craint un piège.

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